fbpx → Passer directement au contenu principal
The Pan African Music Magazine
©2024 PAM Magazine - Design par Trafik - Site par Moonshine - Tous droits réservés. IDOL MEDIA, une division du groupe IDOL.
Le lien a été copié
Le lien n'a pas pu être copié.

Le meilleur du jazz sud‑africain en 2023 (1er semestre)

La scène jazz sud-africaine continue d’être le point de convergence de sonorités les plus éclectiques tout en restant aussi vivant, résistant aux spasmes et au marasme du moment. Voici notre dernière sélection de ses plus récents trésors.

Au début du mois de mai, le groupe The Brother Moves On, basé à Johannesburg, s’est embarqué pour une tournée au Cap, où il a donné trois concerts dans trois lieux très différents. La deuxième de ces dates a eu lieu dans un studio d’art situé à la frontière entre les quartiers de Woodstock et Salt River. Cette fête diurne, qui s’est transformée en véritable extravagance musicale à la tombée de la nuit, a réuni deux écoles de musique sous un même toit, puisque les passionnants Kujenga, qui jouaient à domicile, ont aussi servi leur jus musical. Le public, composé à parts égales d’anciens et de nouveaux fans, ainsi que d’amateurs de culture vraiment curieux, a rempli le studio de la taille d’un entrepôt, qui accueillait aussi des artistes de renom comme la peintre et dessinatrice Breeze Yoko.

Entre les deux groupes, le passage de flambeau ressemblait à une intronisation, une véritable cérémonie. Les Brother Moves On rompaient le pain consacré avec les jeune loups de Kujenga, dans la grande tradition des groupes de scène qui hébergent les jeunes musiciens de toute l’Afrique du Sud dont l’allégeance au jazz, au rock, aux racines et aux nombreux styles et traditions qui ont nourri la musique live depuis des temps immémoriaux ne fait aucun doute.

La période est tout aussi passionnante qu’une autre pour être musicien. Certes, les salles de concert se sont vidées, et le soutien du secteurs privé, public et des ONG n’a jamais été aussi faible. La situation socio-politique est désastreuse, alimentée par les changements mondiaux qui affectent la production culturelle, et par le déséquilibre à la fois systémique et mouvant entre le Nord et le Sud, qui maintient les États africains dans un cycle de perpétuelle demande.

Mais dans ce contexte, alors que les pertes liées à la pandémie sont une réalité omniprésente, les artistes créent, et les conditions actuelles sont en train de changer la façon dont la musique est présentée et consommée. Les arrière-cours et les salons des gens fournissent une source alternative de revenus aux musiciens qui travaillent et tout se passe comme si, à mesure que les conditions se font plus difficiles, la musique devenait plus puissante. Le jazz sud-africain est plus expansif que jamais, comme vous pourrez vous en rendre compte en découvrant notre sélection de mélanges délicats, parus entre janvier et juin 2023, et rassemblés dans la playlist qui suit.

Bait For Steps Forward

Nobuhle Ashanti

La compositrice et pianiste présente une suite ancrée dans la tradition du « Cape Jazz ». Elle s’inspire d’idées introduites par des maîtres tels que Basil Coetzee et Robbie Jansen tout en sélectionnant des éléments vocaux bien choisis dont les différentes textures mettent en relief ses remarquables arrangements. À propos du processus de sélection des collaborateurs pour son premier album, sorti via Platoon en mars dernier, Nobuhle a déclaré qu’elle résiste à la tentation de chercher juste de bons instrumentistes et qu’elle préfère chercher des personnes qui partagent sa vision des choses. « Je regarde toujours une personne en me disant : est ce que je peux avoir une conversation avec toi ? Est ce que tu m’intrigues ? Est ce que je veux apprendre de toi ? Ça m’aide toujours à poser une base pour travailler avec quelqu’un. Mon groupe est mon endroit sûr, c’est ma petite tribu, ma maison, et je veux en faire une maison pour les bonnes personnes. »

Écouter ici.

Turbulence and Pulse

Asher Gamedze

Le deuxième album du batteur Asher Gamedze reprend là où le premier s’était arrêté, et c’est, comme d’habitude, un riche voyage initiatique à travers la mémoire et l’expérimentation. Gamedze est issu d’une tradition orchestrale qui englobe aussi bien le rock que la folk et le folk hip-hop. Il combine toutes ces connaissances avec une pratique académique sans jamais se départir de son indéfectible empathie pour la classe ouvrière afin de produire des morceaux de musique prolifiques qui évoquent les temps passés et parlent d’avenirs inconnus. Fruit d’une collaboration entre Mushroom Hour, basé à Johannesburg, et le label International Anthem, de Chicago, Turbulence and Pulse est un projet international qui résiste à la catégorisation tout en cherchant et en trouvant des langages sonores audacieux pour faire référence à ses prédécesseurs. Sortie à Johannesburg en mai dernier, l’œuvre s’appuie sur une tradition de batteurs qui a vu des artistes comme Bra Louis Moholo, Tumi Mogorosi et Ayanda Sikade imprimer leur marque pour laisser des traces qui perdurent à travers les générations.

Écouter ici.

Intwasa: The Becoming

Robin Fassie

Robin Fassie s’est fait connaître par ses interprétations inspirées de Listening to the Ground (2015) de Nduduzo Makhathini. Il s’est ensuite lancé dans une série de collaborations qui l’ont vu travailler avec tous les musiciens d’Afrique du Sud et de Norvège où il a étudié, et d’où sont originaires les musiciens qu’il a réunis pour l’enregistrement de cet album. Audacieux, délicieux, joyeux et stimulant, Intwaso : The Becoming supplie l’auditeur de se libérer de ses attentes et de s’immerger pleinement dans les morceaux luxuriants et généreux qu’il propose. « C’est un album centré sur la maturité et le voyage qui l’accompagne », explique le trompettiste. « Intlungu Nenhlupheko » est une lettre d’encouragement aux dépossédés, « A.P’s Lament » est un geste de reconnaissance envers un héros tombé au combat, le pianiste et compositeur Andre Petersen (décédé en 2021, NDLR), tandis que « Letter to Cecil Rhodes » est une réparation sonore, une tentative d’apaiser les blessures laissées par des oppresseurs sans cœur comme celui dont la chanson porte le nom.

Écouter ici.

Azania

Iphupho L’ka Biko

Le groupe, mené par l’incomparable bassiste et compositeur Nhlanhla Ngqaqu, est un produit de l’agitation politique qui a entouré les révoltes étudiantes en Afrique du Sud depuis des générations. Agitation qui a atteint son point culminant lors des manifestations étudiantes de 2015 et 2016, baptisées #FeesMustFall, où l’on a entendu une voix collective composée d’étudiants et de professeurs révolutionnaires exiger une éducation gratuite et décolonisée pour tous. Iphupho a marqué la vie politique en Afrique du Sud par sa musique et son message, enraciné dans les enseignements panafricanistes d’aînés tels que Winnie Mandela, Robert Sobukwe et Steve Biko. Avec ce premier EP, le groupe présente un ensemble de chansons qui laisseront sans doute ses légions de supporters en admiration, mais qui réussiront moins bien à attirer un nouveau public – bien que cela reste à éprouver. Des chansons telles que « uThixo uKhona », un de leurs favoris en concert, ainsi que « Qamata » ravivent certes l’importance socio-politique de la culture des groupes noirs et bruns en Afrique du Sud, mais ne démontrent pas toute l’étendue de la palette du collectif. Il manque les voix de la célèbre chanteuse soprano Miseka Gaqa, ainsi que le registre émotif et puissant de Pulane Mafatshe. Selon Ngaqu, il s’agit là du terrain manquant qui sera couvert par les prochains albums.

Écouter ici.

Oratorio of a Forgotten Youth

Amandla Freedom Ensemble

L’Amandla Freedom Ensemble de Mandla Mlangeni a toujours déjoué les pronostics et n’a cessé de captiver l’imagination au fil de ses nombreuses évolutions. Inspiré par le travail de grands musiciens comme Jonas Gwangwa et son Amandla Cultural Ensemble, qui a accompli un travail politique important pendant la longue lutte pour l’autodétermination qu’a connue l’Afrique du Sud, l’Amandla Freedom Ensemble est aussi un jalon dont on ne saurait minimiser l’importance pour la tradition du jazz sud-africain. Ce nouvel album est une « réflexion musicale sur les manifestations étudiantes de 1976 et le mouvement #FeesMustFall » (voir plus haut). C’est aussi leur projet le plus audacieux à ce jour, qui combine jazz, musique classique et traditionnelle avec le théâtre et la poésie pour révéler une saveur inextricablement liée à leur terre natale. Assurément l’un des albums les plus remarquables à avoir vu le jour en Afrique du Sud cette année.

Écouter ici.

Radio Sechaba

Bokani Dyer

C’est la citation de Nina Simone sur le rôle des artistes qui a poussé ce pianiste et compositeur accompli à explorer la manière dont il contribue au discours socio-politique à travers sa musique. Fils du musicien Steve Dyer, qui a produit certains des plus grands succès d’Oliver Mtukudzi, Bokani est l’archétype de l’enfant de la lutte. Il reconnaît qu’il est inextricablement lié à un passé qui valorisait le rôle des artistes, et c’est ainsi qu’il évolue au fil des quatorze chansons de Radio Sechaba. « Be Where You Are » est une berceuse pour les anxieux, « Mogaetsho » sermone la classe dirigeante, brutale et avide de pouvoir, qui regarde la population dont elle a la responsabilité subir d’incommensurables injustices, et « Tiya Mowa » insuffle la vie dans les poumons épuisés de ceux qui ont souffert pendant trop longtemps. Ce recueil compact est nécessaire. Les chansons témoignent de l’esprit audacieux de Bokani et s’adressent tout autant aux fans de jazz moderne qu’aux amateurs de musique en général. Un disque impeccable !

Écouter ici.


Born Coloured, Not Born Free

Benjamin Jephta

Le troisième album de Benjamin Jephta est consacré au thème de l’identité qui déjà marquait ses précédents travaux. Il s’agit de la déclaration la plus téméraire qui soit : tout à la fois une proclamation de non-appartenance, une recherche d’appartenance, et une quête pour étancher la soif de reconnaissance. Les personnes dites « coloured » (dans la classification de l’apartheid, le terme désigne ceux perçus comme ni noirs ni blancs) sont passées d’un extrême à l’autre, les conséquences politiques basées sur ces termes les faisant basculer dans les voies les plus absurdes. Pour l’essentiel, la liberté et la citoyenneté des « Coloureds » sont conditionnées et leur appartenance à cette classe ne tient qu’à un fil : celui de la perception publique de leur identité de « coloured », négative et délibitante, alimentée principalement par des médias négligents. Par sa musique et son travail culturel et universitaire, Benjamin Jephta cherche à remettre en question ces descriptions étroites et orchestre une protestation qui semble moderne dans la manière dont elle se manifeste. « Born Free » est également une terminologie utilisée pour décrire ceux qui sont nés après 1994, année de l’investiture du premier président démocratiquement élu d’Afrique du Sud.

Écouter ici.

The Crossover II

Jazzgroupiez and Saul Madiope

Jazzgroupiez, basé aux États-Unis, et Saul Madiope, basé en Afrique du Sud, ont produit une musique exceptionnelle depuis leur première sortie en 2020. Ils ne se sont jamais rencontrés, mais la musique qu’ils fabriquent sonne comme s’ils avaient passé des journées entières à créer des classiques certifiés dans leur laboratoire. Ils font appel à un réseau de collaborateurs de plus en plus large sur ce second opus, ce qui leur permet de sortir du cadre étroit du « jazz » et les place dans la même catégorie qu’Emamkay (qui collabore avec Bokang Ramatlapeng sur « Rise ») et N-Lite. Ils créent une délicieuse musique jazz adaptée à un public sensibilisé au R&B et au hip-hop. L’affirmation de soi « Be » fait appel aux talents de Nyota Parker et Flvme, « Take Me High » voit l’artiste R&B Joda Kgosi échanger des tuyaux avec ThandoNje, collaborateur fréquent de Saul Madiope, et les talents de Tyson Sybateli, Tron Pyre et Dislu sont mis à contribution sur l’ambitieux « Get This Money ».

Écouter ici.

The Past Is Unpredictable, Only the Future Is Certain

Vuma Levin

Cet album est le résultat d’un processus de deux ans qui a débuté lorsque le guitariste et compositeur a été nommé Jeune artiste de jazz de la Standard Bank en 2021. Affichant une belle confiance, avec un penchant non dissimulé pour les mélodies entraînantes, The Past... remet en question les notions établies d’identité et d’appartenance, et rend plus complexe la question de la tradition ainsi que les attentes imposées pour s’y accrocher. Il semble poser la question de savoir quel passé a de l’importance, et quels futurs ont droit à un laissez-passer. « Capela » est une méditation guidée, le single « Yaka Yaka » un hommage au funk vintage tel qu’il a été exprimé par des anciens comme le regretté Madosini et des jeunes comme Dumama et Thandeka Mfinyongo, « Homily » corrompt les fioritures de la musique classique en les décontextualisant et « Gijima » est délicatement expérimental dans la façon dont il fusionne les styles traditionnels de composition avec les connexions homme-machine facilitées par la pédale de guitare de Vuma Levin. « Cet album est un excellent résumé de tout ce que j’ai essayé de faire musicalement au cours de la dernière décennie, tout en montrant les possibilités de ce que je peux faire à l’avenir », a-t-il déclaré lors d’une interview précédant la sortie de l’album, qui est un véritable tour de force musical.

Écouter ici.

Ngo Ma

IzangoMa

Sbusile Xaba, principalement connu pour son travail en solo en tant qu’artiste folk, sonne délicieusement sur cette quête afro-électrique aux côtés de son collaborateur Ashley Kgabo. Les architectes et contributeurs actifs de la scène musicale live de Prétoria, en constante évolution, prennent des tangentes inspirées et pleines d’entrain sur cet album de onze titres publié par Brownswood Recordings. Leurs morceaux sont comme des repères qui témoignent de cette période de créativité débridée en Afrique du Sud, qui correspond aux mutations sociales d’ampleur évoquées en introduction de l’article. « Tribute to Johnny Dyani » est un signal de détresse et un coup de chapeau à un grand du jazz sud-africain ; « Mngungundlovu » est comme la traduction instrumentale de voix qui auraient été recueillies à travers les royaumes ; et « Agenda Remember » est un doigt d’honneur aux normes sociales contraignantes de la vie d’aujourd’hui. Nous avons hâte de voir ce qu’ils nous réservent pour la suite.

Écouter ici.

Chargement
Confirmé
Chargement
Confirmé